ON THE ROAD AGAIN

Tête Jaune Cache, Canada (B.C.) - 25/10/2016

Exit l'hiver canadien ! Exit le grand froid et la neige ! Exit la traversée des Grandes Rocheuses !

Une réalité déplaisante vient tout juste de nous rattraper : le coût excessif de la vie dans cette partie du monde. Ici, au ranch, la nourriture ne nous étant que partiellement fournie en échange de notre travail, nous devons nous procurer une grande partie des vivres par nos propres moyens. Celle-ci représente un coût beaucoup plus important que prévu et porte donc sérieusement atteinte à nos finances très serrées, au risque de compromettre notre expédition...

Attendre la fin de l'hiver et l'ouverture des cols de montagne, nous contraindrait à consommer une part trop importante de notre budget. Aussi, gardant à l'esprit l'objectif à long terme du projet, qui est la Terre de Feu, nous choisissons aujourd'hui de reprendre la route, avant l'arrivée de l'hiver.

Cependant, cette décision ne fut pas sans peine. En effet, renoncer à un rêve qui vous tend la main, mais qui pourrait finalement vous nuire, est un choix qui peut s'avérer difficile. Alors, suivant les enseignements avisés de Papa Marcello, nous essayons de ne pas oublier de ménager nos montures et nous apprenons à dire « non ». Comme un alpiniste contraint de renoncer à la voie qu'il rêve de gravir, par une intempérie, une avarie matérielle ou une défaillance physique, nous renonçons aujourd'hui à l'itinéraire que nous nous étions fixés, à travers les Grandes Rocheuses, pour nous donner les moyens d'aller jusqu'au bout de l'aventure.

 

Alors, dans quelques jours – après notre intervention à l'école française de Jasper, nous filerons vers la côte pacifique, puis vers le sud. Nous pédalerons vers des températures plus clémentes, où d'autres écoliers, d'autres belles rencontres et de nouveaux paysages nous attendent.

Mais ici, l'automne est déjà bien froid et la neige commence à blanchir nos matinées. Alors soyez des nôtres et envoyez nous un peu de chaleur pour affronter les nuits fraîches qui nous attendent !

 

Les Tourne Sol'


LE TEMPS D'UN HIVER

Tête Jaune Cache, Canada (B.C.) - 19/09/2016

Au bout d'une piste chaotique, bordée d'immenses prairies où des troupeaux de chevaux en semi-liberté galopent crinières au vent, apparaissent les bâtiments quasi séculaires de l'Upper Fraser Ranch. Enclos en bois, granges, écuries et logis se lovent dans un écrin de verdure, au pied des impressionnantes murailles que forment les Montagnes Rocheuses.

Depuis la cour du ranch, la silhouette dentelée de sommets enneigés se découpe derrière le voile de forêt multicolore. Mais les couleurs chatoyantes de l'automne laisseront bientôt place à un épais manteau de neige qui enveloppera alors le paysage entier d'une blanche et paisible torpeur. Et plus tard, au plus profond de l'hiver, les températures extrêmes – jusque trente en dessous de zéro – nous cloîtreront au centre de notre maison en rondins, auprès de l'âtre réconfortant. Là, le feu réchauffera nos doigts gelés par une journée de travail au dehors, dans un bouquet salvateur de crépitements brûlants. Déjà le givre fige la plupart des matinées. Les végétaux s'ornent d'une gelée qui miroite au soleil levant et semblent nous offrir la plus belle des galeries de glace. L'hiver canadien est désormais sur nos talons !

Comme nous l'avions décidé avant le grand départ, nous passerons ici les rudes mois de l'hiver. Car, contrairement à la plupart des cyclo-voyageurs qui ont croisé notre route, nous avons choisi d'emprunter la zone centrale des rocheuses sur 4 800 kilomètres, au lieu de la côte ouest, plus facile et plus clémente. Tributaire des conditions météorologiques et du cycle des saisons, nous devons poser quelques temps nos bicyclettes et attendre le retour du printemps pour reprendre la route, sous peine de nous faire rattraper par le froid et la neige, en pleine montagne. Le temps d'une trêve hivernale, nous avons jeté notre dévolu sur le ranch de la famille Karas-Whatman, qui nous offre le gîte et le couvert en échange de nos bons services. Nous logeons dans la « bunkhouse », en pleine nature, à plus de deux kilomètres de l'habitation des propriétaires, à mi-chemin entre l'entrée du ranch et la Fraser River, l'extrême limite de leur propriété. Cette ravissante maison en rondins de la première moitié du vingtième siècle fut construite pour abriter les cowboys de la ferme, chargés de s'occuper des troupeaux. L' habitation, très sommaire, leur offrait la chaleur de la cheminée, l'eau puisée directement dans la nappe phréatique et un lit douillet sous un solide toit. Leurs lits étaient, à l'époque, de simples lits de camps, « bunk » en anglais. Ils donnèrent son nom à la maison. Chaque ferme employant des vachers à cheval avait d'ailleurs sa propre « bunkhouse » dans le « far west » canadien.

Notre pause hivernale, après quelques 4 278 kilomètres, ne nous empêchera pas de vous donner régulièrement de nos nouvelles, de vous faire partager nos rencontres avec l'école française de Jasper et l'école anglaise de Valemount, mais aussi de continuer nos échanges avec l'école Albert Camus de Maignelay-Montigny (60).

Alors chaussez vos plus chaudes pantoufles, allumez un bon feu dans votre cheminée, installez vous confortablement dans un fauteuil et blottissez vous dans une chaude couverture de laine. Fermez les yeux et laissez vous emmener au milieu de l'hiver canadien, dans un ranch isolé, au fond d'une vallée digne d'un décor de carte postale...

 

Les Tourne sol' 

Les photos de l'Upper Fraser Ranch 

Les photos du Parc National de Jasper (Alberta) 

Les photos du Parc Provincial du Mont- Robson (Colombie Britannique) 


VERS LA SYMBIOSE

Prince-George, Canada (B.C.) - 01/09/2016

La lassitude de ces dernières semaines commence à se dissiper. Depuis quelques jours, Éole semble avoir jeté son dévolu sur d'autres contrées. Son souffle terrible, ralentissant irrémédiablement notre progression, n'est plus si tenace qu'il a été. La grisaille et les pluies diluviennes ont été renvoyées au loin, si bien que le soleil illumine désormais à nouveau nos journées.

L'interminable forêt boréale et ses zones humides laissent doucement place à des forêts plus sèches, où les feuillus se font de plus en plus nombreux. Ces derniers nous annoncent d'ailleurs les prémices de l'Automne. Nous pouvons presque imaginer le patchwork de couleurs dont jouirons nos yeux dans quelques semaines. L'automne canadien promet une explosion de jaune, d'orange et de rouge flamboyants ! L'embrasement de la fête semble avoir déjà commencé...

 

Nous avions fondé tous nos espoirs sur la frontière canadienne pour nous apporter le changement dont nos corps et nos esprits avaient besoin. A vrai dire, passés les somptueux fjords de la côte pacifique et l'impressionnante chaîne de l'Alaska, l'intérieur de l'état américain le plus septentrional est une succession de toundras, de taïgas, de brûlis, de marais et de lacs aux eaux troubles. Après deux mille kilomètres de pédalage le long des quelques et seules routes alaskanes en dents de scie, qui fendent les étendues de solitude sauvage comme des artères de vie, la frontière canadienne promettait donc la merveille dont nous rêvions : le changement !

Mais, derrière la ligne imaginaire tant espérée, le Yukon s'est avéré être un prolongement de l'Alaska en terre canadienne : les mêmes paysages, les mêmes routes et le même sentiment d'extrême isolement. Par ailleurs, à notre grand désespoir, la pluie s'invita et des travaux sans fin – dus au réchauffement climatique* – ne laissaient que boues et graviers à nos roues déjà fatiguées !

 

Puis, arriva Whitehorse comme un rayon de soleil. Nous y rencontrâmes Katie et Olivier, nos hôtes pour quelques jours. Dans un petit nid douillet, nous nous sommes ressourcés au gré des notes aériennes du saxophone d'Olivier et de la voix enchanteresse de Katie. Depuis notre passage dans la capitale du Yukon – une réelle oasis dans le désert boréal – nous avons bifurqué vers le sud-est, en direction de la Colombie Britannique. Nous jouissons désormais de chaudes journées et de lacs aux eaux translucides, dans lesquels nous nous complaisons à rafraîchir nos corps brûlés par un soleil de plomb. Les nuits, quant à elles, sont revenues ; Le sommeil n'en est que plus réparateur. Dans le miroir de nos yeux, de nouveaux paysages défilent enfin ! Des prairies, de plus en plus nombreuses, au fur et à mesure que nous nous approchons du centre géographique de la Colombie Britannique, alternent avec les étendues immenses et boisées d'un océan de collines, ondulant à l'horizon jusqu'aux lointains sommets enneigés des Rocheuses.

Au gré des lignes rondes et généreuses de leurs terres, les fermes arborent fièrement leur granges-étables à toit brisé, parfois centenaires, si représentatives de l'architecture vernaculaire nord-américaine. Les constructions agricoles, en bois naturel ou peinte en rouge, sont parsemées çà et là dans le paysage et se découpent merveilleusement sur le fond de toile dégradé et multicolore des forêts du début de l'automne canadien. Les vaches noires ou marrons paissent tranquillement dans leurs enclos, à l'abri des loups et des ours prédateurs. Les chevaux galopent dans des pré immenses qui plongent parfois derrière les collines, comme des chutes d'herbe vertigineuses s'évanouissant vers un monde inconnu. Les rivières aux eaux émeraudes laissent parfois apparaître des pêcheurs au filet ou des canots sculptés et colorés, issus de l'artisanat ancestral des premières nations américaines.

Nous sommes ici en terre « indienne », parsemée de totems, de sculptures et de maisons aux façade en bois, décorées par les dessins stylisés et colorés du loup, du corbeau, de la grenouille, ou encore du castor. Après avoir été spoliés de leurs terres, exploités et relégués au rang de citoyens de seconde zone par l'envahisseur franco-britannique, les amérindiens, aujourd'hui regroupés en communautés, recouvrent, depuis quelques années, leur honneur bafoué. Après de nombreuses et longues batailles parlementaires, ils ont fini par obtenir la considération qu'ils méritent, le maintien et la mise en valeur de leurs traditions et de leurs langues, mais aussi et surtout, de pouvoir disposer librement de leurs terres. Mais le tableau n'est pas idyllique. L'alcoolisme et la drogue font des ravages au sein des communautés autochtones, tandis que le racisme se fait encore ressentir chez les canadiens non natifs. D'autres part, l'octroi d'aides gouvernementales spécifiques et l'exemption de certaines taxes renforcent le ressentiment envers les peuples de première nation. Malgré ces obstacles et de mauvaises volontés les peuples canadiens semblent en bonne voie vers la réconciliation, en vue d'une future et parfaite symbiose.

Comme des puces, nous faisons des sauts de communauté en communauté afin de découvrir la culture, l'histoire et le riche artisanat des peuples Tlingit, Tagish et Gitxan. Nous tentons progressivement de comprendre et de nous imprégner de l'esprit de ces peuples dont la gentillesse et l'extrême respect envers Dame Nature nous a touché.

"Les Gitksan utilisaient ce qu'ils trouvaient dans leur environnement pour créer des objets nécessaires à leur vie quotidienne, depuis les outils jusqu'aux habits décorés. Quand un animale était tué, sa viande était mangée, ses os servaient à faire des outils tels que des alênes ou des aiguilles, ou bien à fabriquer des armes ; ses tendons servaient de fil, de matériel d'amarrage, ou étaient utilisés pour faire un filet : ses cornes pouvaient servir à faire des petits récipients. D'autres parties de l'animal pouvaient entrer dans la décoration d'habits de cérémonie. Ce qui n'était pas utilisé était brûlé et envoyé au monde des esprits." 

 

Nous commençons aujourd'hui à observer notre environnement d'une autre manière, comme si une âme se cachait derrière chaque arbre, chaque animal, chaque pierre ou chaque ruisseau. Nous regardons aujourd'hui la nature comme si elle offrait un nouveau visage à nos pupilles fascinées. Nous nous laissons doucement bercer par le souffle de sa musique polychrome, à l'affût de l'apparition furtive d'un esprit de la forêt. Sous les feuilles chatoyantes de l'automne, un cerf se manifeste quelques secondes, puis s'évanouit dans l'épaisse forêt, quand, dans la bise crépusculaire, semble vibrer l'écho lointain d'un chant sioux...

 

Les Tourne Sol'

* Le réchauffement climatique cause de nombreuses perturbations à notre planète. Mais, nous étions loin d'imaginer que les infrastructures publiques pouvaient être touchées dans les régions arctiques et subarctiques du globe. Des centaines de kilomètres de route sont aujourd'hui en travaux en Alaska et dans l'Ouest canadien, dû à la fonte du pergélisol.

 

Qu'est ce que le pergélisol ?

 C'est un sol qui se maintient à une température de 0°c pendant au moins deux ans. Il en existe deux types principaux :

- le pergélisol continu : il est présent partout sous la surface du sol, à l'exception des grandes étendues d'eau telles que les lacs et les rivières.

- le  pergélisol discontinu : il s'étend sur une superficie de 10 à 90% sous la surface. 

 

Les voies que nous avons empruntées sont construites sur un pergélisol à haute teneur en glace. La couche supérieure de ce dernier gèle normalement en hiver et dégèle en été. Or, la hausse des températures a entraîné une trop grande quantité de dégèle. La couche supérieure est devenue trop épaisse et n'a pas regelé durant l'hiver. Les infrastructures construites sur ce pergélisol imbibé d'eau se sont donc affaissés et rendu impraticables (fentes longitudinales, bosses, nids de poule, gravier, sable...). Une étude montre que les investissements supplémentaires requis pour l'entretien et le remplacement des infrastructures pourraient s'élever à 6,1 milliards de dollars US pour l'Alaska, d'ici quelques années.

Certains ingénieurs et scientifiques ont mis au point des techniques et méthodes permettant de garder de façon permanente à l'état de glace le pergélisol (« remblais à convection d'air ; drains de chaleur, assortis des tuyaux de ventilation et de la couche géocomposite poreux nécessaires ; paravalanches ; utilisation de granulat de couleur pâle pour le revêtement de la route ; conduits d'air longitudinaux... » Donc, « Il faudra consacrer énormément d'effort pour maintenir à un niveau d'entretien raisonnable les routes aménagées au-dessus du pergélisol à haute teneur en glace. »

 

En traversant ces contrées, où l'homme injecte des sommes colossales d'argent et une énergie folle à essayer de réparer ses catastrophes, une question nous est venue : Les sociétés occidentales traitent-elles toujours les conséquences du dérèglement climatique en s'adaptant aux perturbations que ce dernier cause, sans s'attaquer directement à la cause du problème, sans en tarir d'abord la source ?

Les photos du bassin de la Fraser River (Colombie Britannique)

Les photos du Yukon à la Colombie Britannique (Canada) 

Les photos de Whitehorse : capitale du Yukon (Canada) 

Les photos de l'Alaska au Canada